lundi 2 décembre 2019

DÉCEMBRE 2019






Je n'ai pas eu une minute depuis le mois dernier pour achever ce que j'avais commencé d'écrire. C'était une visite de notre Saint Fondateur, pleine de douceur et de réconfort, pour mon âme. Il m'en reste un parfum très suave et si je ne puis aujourd'hui écrire très exactement les paroles qu'il me fit entendre, je puis pourtant en marquer le sens. 

Notre Bienheureux Père me dit que nous avions été établies spécialement pour le service de l'Amour Infini, mais que nulle âme ne pouvait arriver à l'amour de Dieu si elle n'avait aussi une grande et vraie charité pour le prochain. Il me fit comprendre que les âmes ne s'élèvent que rarement à un degré supérieur d'amour envers Dieu parce qu'elles ne portent pas assez loin leur amour pour les autres; qu'il ne suffit pas de les servir et d'avoir une charité suffisante, mais qu'il faut porter dans les sentiments intérieurs une très exquise délicatesse. 

Il y a dans beaucoup d'âmes des sentiments vindicatifs et des mauvaises volontés qui ne sont pas cultivés volontairement, mais qui ne sont pas assez combattus et qui, n'étant que péchés véniels, ne font pas mourir la charité dans l'âme, mais empêchent le développement de l'Amour Infini. Il m'a enseigné cette extrême douceur des sentiments intérieurs qui rend l'âme si agréable à Dieu que le don de l'Amour lui est fait alors avec une très grande abondance. 

Il m'a dit qu'il fallait toujours tout pardonner et toujours rendre le bien pour le mal; puis il m'a dit que si je faisais toujours ainsi, l'Amour Infini ferait en mon âme son séjour de repos et de délices.

Journal intime
LM Claret de la Touche
p 180

Résolution :

En s’incarnant et en naissant dans une crèche, Notre-Seigneur nous a montré jusqu’où allait Sa charité envers les hommes, reflet de Sa Charité envers Son Père.  Que ferons-nous pour répondre à cet amour ?

jeudi 7 novembre 2019

NOVEMBRE 2019

MOYEN DE SOULAGER LES ÂMES DU PURGATOIRE : LA CHARITÉ 



Extrait de : "Un mois avec les âmes du Purgatoire" de l'abbé Berlioux (21ème jour)

1. La charité corporelle

La charité est une des vérités qui nous sont le plus souvent et le plus fortement recommandées dans  l'Évangile. Elle possède même, d’après St Thomas, une puissance de satisfaction plus grande que la prière ; ou plutôt elle double la force de nos prières et en assure le succès. L’ange disait à Tobie : « La charité sauve de la mort ; c’est elle qui efface les péchés ; elle retire l’âme des ténèbres, lui fait trouver grâce devant Dieu et lui assure la Vie Éternelle.» Quel moyen plus efficace pour soulager les âmes souffrantes ? Si en leur nom, nous exerçons la charité, les cris de reconnaissance des pauvres montent vers Dieu et triomphent de tout auprès de Lui. C’est une douce rosée qui tombe dans les flammes du purgatoire et en tempère les ardeurs. Le denier qui donne le pain du moment à un misérable de ce monde, donne peut – être à une âme délivrée une place éternelle, à la table du Seigneur. Soyons donc miséricordieux autant que nous pouvons l’être ; si nous avons beaucoup, donnons beaucoup ; si nous avons peu, donnons peu, mais donnons de bon cœur. « Heureux, s’écriait le psalmiste, celui qui comprend la douleur du pauvre et du délaissé : le Seigneur le délivrera au jour mauvais, Il l’assistera sur son lit d’angoisse et le récompensera éternellement. »

A l’œuvre donc, secourez les affligés de la terre, et vous soulagerez en même temps ceux qui pleurent. Mettez l’obole de la veuve dans la main du pauvre ; les captifs deviendront libres. 



2. La charité spirituelle

Si les biens nous manquent, si l’argent nous fait défaut, il nous reste la charité spirituelle qui fait du bien à l’âme et au cœur qui souffrent et gémissent. « Elle surpasse, suivant l’expression de St Thomas, la charité corporelle, comme l’esprit surpasse le corps » Les misères spirituelles sont bien plus nombreuses et plus déplorables que les misères corporelles. Or, la Divine Bonté permette que rejaillissent sur nos frères aimés du purgatoire les mérites que nous pouvons obtenir ainsi. Donc pour eux, soignons les pauvres malades. Pour eux, veillons au chevet des agonisants. Pour eux, protégeons les orphelins. Pour eux, consolons les veuves. Pour eux, essuyons les larmes de ceux qui pleurent. Ainsi notre charité diminuera les souffrances de ce monde, qui est un purgatoire de l’autre vie. Qu’est – ce - qui nous arrête quand il s’agit du soulagement et de la délivrance de ces chères âmes ? Qu’est – ce – qui pourrait nous servir d’excuse si nous les oublions, quand il nous est si facile de leur venir en aide ? Et qui viendra un jour à notre aide, si nous ne faisons rien pour les autres ?? 



3. Exemple

A Bologne, en Italie, une veuve avait un fils unique qui avait coutume de jouer sur la place publique avec les enfants de son âge. Un jour, un étranger troubla ses jeux, avec un mauvais vouloir évident. L’enfant lui cria de rester tranquille. L’inconnu, vexé, tira son épée et le transperça. Saisi de crainte, et surpris par la violence du geste imprévu qu’il venait d’effectuer, son épée sanglante à la main, il se mit à courir et se précipita dans une maison pour s’y cacher. Or, il se trouve que c’était la maison de l’enfant assassiné… Il arriva dans l’appartement de la veuve qu’il ne connaissait pas. A la vue de cet homme, de cette épée couverte de sang, elle demeura interdite. Mais entendant l’étranger lui demander « Au nom de Dieu » asile contre ceux qui le poursuivaient, elle promit de le cacher et de ne le point le livrer. Cependant, les gendarmes apprenant qu’il était entré dans cette maison, le cherchèrent partout, sans le trouver. Comme ils allaient repartir, ils demandèrent à la dame si elle savait que son fils avait été tué par cet assassin… A ces paroles, la mère tomba évanouie. Quand elle revint à elle, on crut qu’il serait impossible de la sauver, tant ce coup l’avait abattue. Mais s’en remettant en la Divine Providence, elle retrouva une grande énergie et résolut de pardonner au meurtrier de son fils, et plus encore, de le traiter avec charité. Elle alla à la cachette de l’assassin, ne lui fit pas de reproche, lui remit une bourse et lui indiqua une issue discrète, au bout de laquelle l’attendait un cheval sellé, prêt à partir. Sur ce, elle se mit en prière pour l’âme de son fils. A peine s’était – elle agenouillée, les bras en croix, devant un crucifix, pour supplier Jésus de prendre pitié de l’âme de son enfant, que son fils lui apparut, le visage heureux, rayonnant comme le soleil, et lui dit : « Chère Maman, ne pleure pas ! Il ne faut pas me plaindre, mais envier mon sort. Car la charité chrétienne dont tu as fait preuve envers mon meurtrier, m’a tiré immédiatement du purgatoire. La Justice Divine m’avait condamné à de longues années de souffrance, mais ton pardon a terminé, en un instant, toute mon expiation, et je suis auprès de Dieu où je resterai pour l’éternité. » Puis il disparut, laissant sa mère dans la joie, malgré son chagrin. 



Prions – Confiant en vos paroles, Ô mon Sauveur, je ne verrai plus désormais que votre Personne adorable, cachée sous celle du mendiant qui implorera ma pitié. Je pratiquerai la charité à celui qui me la demandera comme si je devais la faire à Vous – même. Mais ma charité ne se bornera pas aux vivants. Je veux qu’elle s’étende jusqu’aux morts et que celle que je ferai pour les pauvres de la terre serve aux pauvres du purgatoire et attire sur eux l’effusion de Votre Miséricorde. Doux Jésus, donnez leur le repos éternel ! 

Résolution

A notre époque, les âmes du Purgatoire sont bien oubliées !  Dans le NOM, qui pense encore à prier pour elles ?  L'oubli ou la négation de ce dogme, l'indifférence quasi générale ne leur apportent aucun secours ou soulagement.   Puisse notre fermeté dans la Fidélité être pour nous l'occasion de mériter pour elles ! 



mercredi 2 octobre 2019

OCTOBRE 2019

Récréation au Carmel


Mère bien-aimée, j'écrivais hier que les biens d'ici-bas n'étant pas à moi, je ne devrais pas trouver difficile de ne jamais les réclamer si quelquefois on me les prenait. Les biens du Ciel ne m'appartiennent pas davantage, ils me sont prêtés par le Bon Dieu qui peut me les retirer sans que j'aie le droit de me plaindre.  Cependant les biens qui viennent directement du bon Dieu, les élans de l'intelligence et du cœur, les pensées profondes, tout cela forme une richesse à laquelle on s'attache comme à un bien propre auquel personne n'a le droit de toucher…  Par exemple si en licence on dit а une sœur quelque lumière reçue pendant l'oraison et que, peu de temps après, cette sœur parlant avec une autre lui dise, comme l'ayant pensée d'elle-même, la chose qu'on lui avait confiée, il semble qu'elle prend ce qui n'est pas à elle. Ou bien en récréation, on dit tout bas à sa compagne une parole pleine d'esprit et d'à-propos;  si elle la répète tout haut sans faire connaître la source d'où elle vient, cela paraît encore un vol à la propriétaire qui ne réclame pas, mais aurait bien envie de le faire et saisira la première occasion pour faire savoir finement qu'on s'est emparé de ses pensées.

Manuscrits autobiographiques
(A Mère Marie de Gonzague : Lumières sur la Charité)


Résolution

La Charité doit se pratiquer même dans les biens spirituels.  Notre délicatesse va-t-elle jusque là ?

mercredi 11 septembre 2019

SEPTEMBRE 2019




A l’école de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

Ce n'est pas toujours possible, au Carmel, de pratiquer à la lettre les paroles de l'Évangile, on est parfois obligé à cause des emplois de refuser un service, mais lorsque la charité a jeté de profondes racines dans l’âme, elle se montre à l'extérieur.  Il y a façon si gracieuse de refuser ce qu'on ne peut donner, que le refus  fait autant de plaisir que le don.  Il est vrai qu’on se gêne  moins de réclamer un service à une sœur toujours disposée à obliger, cependant Jésus a dit : " N'évitez point celui qui veut emprunter de vous. "  Ainsi sous prétexte qu'on serait forcée de refuser, il ne faut pas s'éloigner des sœurs qui ont l'habitude de toujours demander des services. Il ne faut pas non plus être obligeante afin de le paraître ou dans l'espoir qu'une autre fois la sœur qu'on oblige vous rendra service à son tour, car Notre- Seigneur a dit encore: " Si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir quelque chose, quel gré vous en saura- t-on? Car les pécheurs mêmes prêtent aux pécheurs afin d'en recevoir autant. Mais pour vous, faites du bien, PRÊTEZ SANS EN RIEN ESPÉRER, et votre récompense sera grande. "   Oh oui ! la récompense est grande, même sur la terre ...  dans cette voie il n'y a que le premier pas qui coûte.  Prêter sans en rien espérer, cela paraît dur à la nature;  on aimerait mieux donner, car une chose donnée n'appartient plus. Lorsqu'on vient vous dire d'un air tout à fait convaincu: " Ma sœur, j'ai besoin de votre aide pendant quelques heures, mais soyez tranquille, j'ai permission de notre Mère et je vous rendrai le temps que vous me donnez, car je sais combien vous êtes pressée. " Vraiment, lorsqu'on sait très bien que jamais le temps qu'on prête ne sera rendu, on aimerait mieux dire: " Je vous le donne. " Cela contenterait l'amour-propre car donner, c'est un acte plus généreux que de prêter et puis on fait sentir à la sœur qu'on ne compte pas sur ses services... Ah ! que les enseignements de Jésus sont contraires aux sentiments de la nature ! Sans le secours de sa grâce il serait impossible non seulement de les mettre en pratique mais encore de les comprendre. Ma Mère, Jésus a fait cette grâce à votre enfant de lui faire pénétrer les mystérieuses profondeurs de la charité; si elle pouvait exprimer ce qu'elle comprend, vous entendriez une mélodie du Ciel, mais hélas ! je n'ai que des bégaiements enfantins à vous faire entendre... Si les paroles mêmes de Jésus ne me servaient pas d'appui, je serais tentée de vous demander grâce et de laisser la plume... Mais non, il faut que je continue par obéissance ce que j'ai commencé par obéissance.


Manuscrits autobiographiques
(A Mère Marie de Gonzague : Lumières sur la Charité)

Résolution

Quelle est notre intention lorsque nous prêtons quelque chose ?  Mais surtout lorsque nous prêtons notre temps en rendant service ?

jeudi 1 août 2019

AOÛT 2019


Supporter les contrariétés



A l’école de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

Plus encore que les autres jours je sens que je me suis extrêmement  mal expliquée. J'ai fait une espèce  de discours sur la charité qui doit vous avoir fatiguée à lire; pardonnez-moi, ma Mère bien-aimée, et songez  qu'en ce moment les infirmières pratiquent à mon égard ce que je viens d'écrire; elles ne craignent pas de faire deux mille pas, là où vingt suffiraient, j'ai donc pu contempler la charité en action ! Sans doute mon âme doit s'en trouver embaumée; pour mon esprit j'avoue qu'il s'est un peu paralysé devant un pareil dévouement et ma plume a perdu de sa légèreté. Pour qu'il me soit possible de traduire mes pensées, il faut que je sois comme le passereau solitaire, et c'est rarement mon sort.   Lorsque je commence à prendre la plume, voilà une bonne sœur qui passe près de moi, la fourche sur  l'épaule.  Elle croit me distraire en me faisant un peu la causette: foin, canards, poules, visite du docteur, tout vient sur le tapis; à dire vrai cela ne dure pas longtemps, mais il est plus d'une bonne sœur charitable et tout à coup une autre faneuse dépose des fleurs sur mes genoux, croyant peut-être m'inspirer des idées poétiques.   Moi qui ne les recherche pas en ce moment, j'aimerais mieux que les fleurs restent à se balancer sur leurs tiges. Enfin, fatiguée d'ouvrir et de fermer ce fameux cahier, j'ouvre un livre (qui ne veut pas rester ouvert) et je dis résolument que je copie des pensées des psaumes et de l'Evangile pour la fête de Notre Mère. C'est bien vrai car je n'économise pas les citations ... Mère chérie, je vous amuserais, je crois, en vous racontant toutes mes aventures dans les bosquets du Carmel, je ne sais pas si j'ai pu écrire dix lignes sans être dérangée; cela ne devrait pas me faire rire, ni m'amuser, cependant pour l'amour du Bon Dieu et de mes sœurs (si charitables envers moi) je tâche d'avoir l'air contente et surtout de l'être… Tenez, voici une faneuse qui s'éloigne après m'avoir dit d'un ton compatissant: " Ma pauvr' ptite sœur, ça doit vous fatiguer d'écrire comme ça toute la journée. "  - " Soyez  tranquille, lui ai-je .répondu, je parais écrire beaucoup mais véritablement je n'écris presque rien. " - " Tant mieux ! " m'a-t-elle dit d'un air rassuré, " mais c’est égal, j'suis bin contente qu'on soit en train d'faner car ça vous distrait toujours un peu. " En effet, c'est une si grande distraction pour moi (sans compter les visites des infirmières) que je ne mens pas en disant n'écrire presque rien.

Manuscrits autobiographiques
(A Mère Marie de Gonzague : Lumières sur la Charité)


Résolution


Comment supportons-nous les petites contrariétés de la vie quotidienne ?

dimanche 2 juin 2019

JUIN 2019


CINQUIÈME PAROLE
« J'ai soif.»





Extrait de : Du haut de la Croix (Mgr F. SHEEN)

Des sept cris, voici le plus court. Si dans notre langue il se compose de trois mots, il n'en comporte qu'un seul dans la langue originale. Au moment où Notre-Seigneur reprend son sermon, ce n'est pas pour une malédiction sur ceux qui le crucifient, ni un mot de reproche aux disciples apeurés au premier rang de la foule, ce n'est pas un cri de mépris pour les soldats romains, ni un mot d'espoir pour Marie-Madeleine, ni une parole d'amour pour Jean, ni un mot d'adieu pour sa mère. Ce n'est pas même à Dieu qu'il s'adresse en ce moment! Passant par ses lèvres desséchées, un mot terrible vient sourdre des profondeurs de son Sacré-Cœur : « J'ai soif! ».

Lui, l'Homme-Dieu, qui lança les étoiles dans leur orbite et les corps célestes à travers l'espace, qui « agita la terre comme une babiole à son poignet », qui du bout des doigts faisait tomber les planètes et les mondes, qui aurait pu dire : « La mer est à moi, et  avec elle les fleuves dans mille vallées, et les cascades dans mille collines », il demande maintenant à l'homme - l'homme, créature façonnée par ses mains - de l'aider. C'est à l'homme qu'il demande à boire! Non pas de l'eau de la terre, ce n'est pas là ce qu'il désire, mais de l'amour. « J'ai soif» - d'amour !

La parole précédente nous révélait les souffrances d'un homme sans Dieu; celle-ci nous révèle les souffrances d'un Dieu sans l'homme. Le Créateur ne peut vivre sans la créature, le berger sans brebis, ni la soif d'amour du Christ sans l'âme des chrétiens, seule eau qui puisse le désaltérer.

Mais qu'a-t-il fait pour prétendre à mon amour? Jusqu'à quel point Dieu m'a-t-il aimé? Oh! Si je veux savoir combien Dieu m'a aimé, que je sonde alors les profondeurs de sens de ce mot « amour », mot si souvent employé et si peu compris! Aimer, c'est avant tout donner, et Dieu a donné sa puissance au néant, sa lumière aux ténèbres, son ordre au chaos, et cela s'appelle la Création. Aimer, c'est confier des secrets à l'être aimé, et Dieu, dans les Écritures, a révélé les secrets de la nature, et ses grands desseins pour l'humanité déchue, et cela s'appelle la Révélation.  Aimer, c'est aussi souffrir pour l'être aimé, et c'est pourquoi nous parlons des traits et des flèches de l'amour - quelque chose qui blesse - et Dieu maintenant est en train de souffrir pour nous sur l'arbre de la Croix, car « nul ne peut avoir d'amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis ». Aimer, c'est aussi ne plus faire qu'un avec l'être aimé, non seulement dans l'unité de la chair, mais dans l'unité d'esprit, et Dieu nous a aimés au point d'instituer l'Eucharistie, afin que nous puissions demeurer en lui et lui en nous dans l'ineffable unité du Pain de vie. Aimer, c'est aussi désirer être éternellement uni à l'être aimé, et Dieu nous a tant aimés qu'il nous a promis la maison de son Père, où règnent une paix et une joie que le monde ne peut donner et que le temps ne saurait ravir, et cela s'appelle le Ciel.

Sans aucun doute son amour s'est épuisé. Le Christ ne pouvait faire plus qu'il n'a fait pour sa vigne. Ayant déversé toutes les eaux de son éternel amour sur nos pauvres cœurs desséchés, est-il surprenant qu'il ait soif d'amour? Si l'amour est réciproque, alors il est certain qu'il a droit à notre amour. Pourquoi n'y répondons nous pas?  Pourquoi laissons-nous le Cœur divin mourir de la soif 
des cœurs humains? A juste titre, il pourrait se plaindre :


Vois, tout te fuit, parce que tu me fuis !
Être étrange, pitoyable, futile !
Pourquoi quelqu'un te choisirait-il  pour t'aimer,
Puisque nul sauf moi ne fait grand cas de ce qui n'est rien ?
[(dit-il)
Et l'amour humain doit être mérité par l'homme:
Comment as-tu mérité-
Toi,  la plus vile parcelle de toute la grossière argile humaine? Hélas, tu ne sais pas combien tu es peu digne d'amour!
Qui trouveras-tu pour t'aimer, être indigne,
Si ce n'est moi,  et moi seul?
Francis THOMPSON.


Prière.

Ô Jésus, vous avez tout donné pour moi, et cependant je ne vous donne rien en retour. Combien de fois êtes-vous venu vendanger dans la vigne de mon âme, pour n'y trouver que quelques grappes! Combien de fois avez-vous cherché, pour ne rien trouver, avez-vous frappé, et la porte de mon âme vous restait fermée! Combien de fois m'avez-vous demandé à boire, pour ne recevoir de moi que vinaigre et fiel !

Combien de fois ai-je craint que, vous recevant, j'aie à renoncer à tout; sans comprendre que si j'avais la flamme, j'oublierais l'étincelle, si j'avais tout le soleil de votre amour j'oublierais la lueur d'une affection humaine, si j'avais le bonheur parfait que vous seul donnez  j'oublierais les bribes que peut donner la terre. Ô Jésus, mon histoire est la triste histoire du refus de rendre cœur pour cœur, amour pour amour. Par-dessus tous les dons humains, donnez-moi le don de sympathie pour vous.

Résolution

Comment vais-je répondre à cette demande ?

dimanche 12 mai 2019

MAI 2019


« Femme, voici votre fils »





Extrait de : Du haut de la Croix (Mgr F. SHEEN)

Les hommes sont plus rapprochés  moralement dans un abri antiaérien, ou dans un trou d'obus, que dans le bureau d'un homme d'affaires ou à une table de bridge.  A mesure que les chagrins augmentent, un sentiment d'unité s'intensifie.  C'est pourquoi on peut conjecturer que c'est sur le Calvaire, cette cime tragique dans la vie de notre divin Maître et  de sa Mère, que se révélerait le mieux le caractère universel de la religion.

Il est particulièrement intéressant de noter que dans son  évangile, saint Jean relate, avant la parole dite du haut de la Croix par Notre-Seigneur à sa Mère, le récit de la tunique sans couture que notre divin Maître avait portée et que les soldats étaient en train de tirer au sort. « Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements, dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat, et aussi sa tunique. Or la tunique était sans couture, toute d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas.» (S. Jean XIX, 23.)

Pourquoi, parmi tous les détails de la Passion, celui de cette tunique lui revient-il soudain à l'esprit ? C'est parce qu'elle avait été tissée par Marie. Cette tunique était si belle que ces criminels endurcis refusèrent de la déchirer.  Selon la coutume, ils avaient droit aux vêtements de ceux qu'ils crucifiaient. Mais cette fois les criminels refusèrent de se partager la dépouille. Ils la jouèrent aux dés, afin que le gagnant eût la tunique entière.

Après avoir cédé ses vêtements à ceux qui les tirent au sort, Jésus sur le Calvaire va céder maintenant celle qui tissa la tunique sans couture. Notre divin Maître jette un regard sur les deux êtres qu'il a le plus aimés sur terre : Marie et Jean. Il s'adresse d'abord à sa Sainte Mère.  Il ne l'appelle pas «Mère», mais « Femme».

Comme saint Bernard le remarque avec dévotion, s'il l'avait appelée «Mère» elle aurait été sa Mère uniquement. Mais pour indiquer qu'elle devient à ce moment la Mère de tous ceux qu'il rachète, il lui donne ce titre de maternité universelle « Femme ».  Puis, désignant d'un signe de tête son disciple bien-aimé qui est présent, il ajoute: «Voici ton fils ». Il ne l'appelle pas Jean, car s'il le faisait, Jean ne serait que le fils de Zébédée ; il ne le désigne pas par son nom, afin qu'il puisse représenter toute l'humanité.

C'était comme si Notre-Seigneur avait dit à sa Mère: «Vous avez déjà un Fils, et ce Fils c'est moi. Vous ne pouvez en avoir d'autre. Tous les autres seront en moi comme les sarments sont sur la vigne. Jean ne fait qu'un avec moi, et moi avec lui. C'est pourquoi je ne dis pas: « Voici un autre fils ! » mais « Me voici en Jean, et voici Jean en moi ».

C'était une sorte de testament. A la dernière Cène, il avait légué son corps et son sang à l'humanité.  « Ceci est mon corps!  Ceci est mon sang! » Maintenant il léguait sa Mère: « Voici ta Mère ». Notre divin Maître établissait, à ce moment, de nouveaux liens de parenté; une parenté par laquelle sa propre Mère devenait la mère de tous les hommes, tandis que nous devenions ses enfants.

Ce nouveau lien n'était pas charnel, mais spirituel, car il est d'autres liens que ceux du sang. Si le sang est plus épais que l'eau, l'esprit est plus important que le sang. Tous les hommes sans distinction de couleur, de race, de sang, ne font qu'un dans l'Esprit : « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux,  celui-là est pour moi frère, sœur et mère». (S. Matthieu XII, 50.)

Dans le Christ, Marie avait vu Dieu; maintenant son Fils lui demandait de voir ce même Christ dans tous les chrétiens. Il ne lui demandait pas d'aimer un autre que lui, mais il serait désormais dans tous ceux qu'il avait rachetés. La veille, il avait prié pour que tous ne fassent qu'un en lui, comme il n'y a qu'une même  vie pour la vigne et ses sarments. Maintenant,  il instituait Marie gardienne non seulement de la vigne mais aussi des sarments, dans le temps et l'éternité. Elle avait donné le jour au Roi, et maintenant elle engendrait le royaume.

L'idée même de cette Epouse de l'Esprit devenant la Mère du genre humain nous accable, non pas parce que c'est Dieu qui la pensa, mais bien parce que nous y pensons trop rarement. Nous sommes si accoutumés à voir la Madone avec l'Enfant à Bethléhem, que nous oublions que c'est cette même Madone qui nous soutient, vous et moi, au Calvaire.

A la crèche, le Christ n'était qu'un nouveau-né;  au Calvaire, il est le chef de l'humanité rachetée. A Bethléhem, Marie était la Mère du Christ; sur le Calvaire elle devient la Mère des chrétiens.  Dans l'étable ce fut sans souffrance qu'elle mit son Fils au monde et devint la Mère de joie; à la Croix, elle nous enfanta dans la douleur et devint la Reine des martyrs. En aucun cas, une femme n'oublie l'enfant de ses entrailles.

Lorsque Marie entendit Notre-Seigneur établir cette nouvelle parenté, elle se souvint nettement du début de ces liens spirituels. Comme celle de Jésus, la troisième parole de Marie se rapportait à la parenté. Il y avait bien longtemps de cela.

Quand l'ange lui eut annoncé qu'elle serait la Mère de Dieu, ce qui eut suffi à la lier а tout le genre humain, il ajouta qu'Élisabeth, sa cousine avancée en âge, était alors enceinte: « Et voici qu'Élisabeth, votre parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et ce mois-ci est le sixième pour elle que l'on appelait stérile, car rien ne sera impossible pour Dieu». Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur: qu'il me soit fait selon votre parole! » Et l'ange la quitta.

En ces jours-là, Marie partit et s'en alla en hâte vers la montagne, en une ville de Juda. Elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. Et elle s'écria à haute voix, disant: « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Et d'où m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi? Car votre voix, lorsque vous m'avez  saluée, n'a pas plus tôt frappé mes oreilles, que l'enfant a tressailli de joie dans mon sein. Heureuse celle qui a cru! Car elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur! » (S. Luc I, 36-45.)

On admet, à juste titre, que nul mieux qu'une femme qui porte un enfant, ne peut décliner tout service envers autrui. Si l'on ajoute а ceci, noblesse oblige,  le fait que cette femme porte en elle le Maître de l'univers, entre toutes les créatures elle aurait le droit de se croire dispensée des obligations sociales et des devoirs envers ses voisins. Les femmes dans cette condition ne vont pas servir, mais se font servir.

Or nous voyons ici la plus grande de toutes les femmes  devenir la servante des autres. Sans se targuer de sa dignité en disant: « Je suis la Mère de Dieu», mais comprenant que sa cousine âgée pouvait avoir besoin d'elle, cette Reine enceinte, au lieu d'attendre son heure dans une paisible retraite, comme le font les autres femmes, monte sur un âne, fait un voyage de cinq jours  dans la montagne, et a une telle conscience de la fraternité spirituelle que, selon le langage de l'Écriture Sainte, elle le fait « en hâte». (S. Luc I, 39.)

Trente-trois ans avant le Calvaire, Marie reconnaît que sa mission est d'apporter son Seigneur au genre humain; et elle est prise d'une telle impatience sainte, qu'elle commence cette mission avant même que son Fils ait vu le jour. Dans ce voyage, j'aime à voir en elle la première infirmière chrétienne qui en plus des soins qu'elle prodigue vient apporter le Christ dans la vie de ses malades: Salut des infirmes, secours des chrétiens, disons- nous dans ses litanies.

Résolution

Nous sommes tous fils d’une même Mère et pas de n’importe quelle Mère !  Alors quelle sera notre attitude vis-à-vis de notre Mère (en ce mois qui lui est particulièrement dédié) ?  Et ne l’imiterons-nous pas dans sa charité envers le prochain ?


mercredi 10 avril 2019

AVRIL 2019


PREMIÈRE PAROLE
« Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

 

Extrait de : Du haut de la Croix (Mgr F. SHEEN)

La psychologie admet qu'à l'heure de l'agonie le cœur humain adresse ses paroles d'amour aux êtres qui lui sont les plus proches et les plus chers. Pourquoi penser qu'il en serait autrement de Celui qui fut le Cœur suprême? S'il s'adressa selon une gradation à ceux qu'il aima le plus, c'est dans ses trois premières paroles que nous pouvons espérer trouver l'ordre de son amour et de son affection. Ses premières paroles concernaient ses ennemis: « Père, pardonnez-leur », les secondes les pécheurs: « Ce jour-même tu seras avec moi en Paradis », et  les troisièmes s'adressaient aux saints: « Femme, voici ton Fils ».   Ennemis, pécheurs, saints - tel est l'ordre de l'amour et de la sollicitude de Dieu.


La foule attendait anxieusement sa première parole. Les bourreaux s'attendaient à ce qu'il criât comme l'avait fait, avant lui, tout homme cloué au gibet de la Croix. Sénèque nous rapporte que ceux que l'on crucifiait maudissaient le jour de leur naissance, les bourreaux, leur mère, et allaient même jusqu'à cracher sur les assistants.   Cicéron relate qu'il était parfois nécessaire de couper la langue des crucifiés pour mettre fin à leurs horribles blasphèmes. C'est pourquoi les bourreaux attendaient un cri, mais non pas le cri qu'ils entendirent. Les Scribes et les Pharisiens aussi attendaient un cri, sûrs qu'ils étaient qu'à celui qui avait prêché: « Aimez vos ennemis» et « Faites le bien à ceux qui vous haïssent », le percement des pieds et des mains ferait oublier, à cette heure, un tel Évangile.  Il leur semblait que les affres de la crucifixion et de l'agonie feraient s'envoler toute résolution qu'il aurait pu prendre de sauver les apparences.  Tout le monde attendait un cri, mais, à l'exception des trois personnages au pied de la Croix, nul ne s'attendait au cri que l'on entendit. Comme certains arbres odorants qui imprègnent de leurs effluves la hache même qui les abat, le Cœur divin, sur l'Arbre de l'Amour, exhala de ses profondeurs moins un cri qu'une prière, la prière murmurée et pleine de douceur du pardon et de la rémission: « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».


Pardonner à qui ? Pardonner aux ennemis? Au soldat qui le frappa de son poing dans la cour de Caïphe; à Pilate, le politique,  qui condamna un Dieu pour conserver l'amitié de César; à Hérode qui revêtit la Sagesse d'un déguisement ridicule; aux soldats qui pendirent le Roi des rois à un arbre, entre ciel et terre - leur pardonner? Pourquoi leur pardonner? Parce qu'ils savent ce qu'ils font? Non, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font.


S'ils savaient ce qu'ils faisaient et persistaient néanmoins à le faire; s'ils savaient quel crime horrible ils commettaient en condamnant la Vie à mourir, s'ils savaient quel simulacre de justice leur avait fait préférer Barabbas au Christ; s'ils comprenaient la cruauté de se saisir de ces pieds qui foulèrent les 
collines éternelles pour les clouer à un arbre; s'ils savaient ce qu'ils faisaient et continuaient cependant, sans se soucier que ce même sang qu'ils versaient pouvait les racheter, jamais ils ne seraient sauvés! Oui, ils seraient damnés, s'ils n'ignoraient pas l'acte horrible qu'ils commettaient en crucifiant le Christ! Seule l'ignorance de leur grand péché les amena à portée de voix de ce cri lancé depuis la Croix. Ce n'est pas le savoir qui sauve, c'est l'ignorance !


Il n'est pas de rédemption pour les anges déchus. Ces grands esprits conduits par le porteur de lumière, Lucifer, doués d'une intelligence en regard de laquelle la nôtre est celle d'un enfant, virent les conséquences de chacune de leurs décisions aussi  clairement que nous voyons que deux et deux font quatre. Leur décision prise, ils la rendirent irrévocable, excluant tout retour et  par là toute rédemption future. C'est parce qu'ils savaient ce qu'ils faisaient que, rejetés à tout jamais, ils ne purent entendre le cri qui  jaillit de la Croix. Ce n'est pas le savoir qui sauve; c'est l'ignorance!

De même, si nous savions combien terrible est le péché et  continuions cependant à pécher; si nous savions tout l'amour  contenu dans l'Incarnation et refusions pourtant de nous nourrir du Pain de vie: si nous savions quel amour d'abnégation il y eut  dans le sacrifice de la Croix, et refusions pourtant de remplir du même amour le calice de notre cœur; si nous comprenions toute la miséricorde contenue dans le sacrement de Pénitence et  refusions pourtant de ployer le genou avec humilité devant une 
main ayant pouvoir de délier à la fois dans le ciel et sur la terre; si nous savions tout ce que l'Eucharistie renferme de vie, et  refusions pourtant de manger le Pain qui rend la vie éternelle et  de boire le Vin qui produit et fait croître les vierges; si nous savions toute la vérité en dépôt dans l'Église, corps mystique du Christ, et pourtant nous en détournions comme autant de Pilates ; si nous savions toutes ces choses, et si néanmoins nous nous tenions à l'écart du Christ et de son  Eglise, nous serions perdus! Notre ignorance de la bonté de Dieu est notre seule excuse de n'être pas des saints!


Prière

Ô Jésus! Je ne désire pas être savant dans la connaissance du monde; je ne désire pas savoir sur quelle enclume les flocons de neige sont façonnés, dans quel recoin se cache l'obscurité, ni d'où provient la glace; ni pourquoi l'or se trouve dans la terre,  pourquoi le feu s'élève en fumée vers les cieux.  Je ne désire pas connaître la littérature ni les sciences, ni cet univers aux quatre dimensions dans lequel nous vivons; je ne veux pas connaître la longueur de l'univers en années-lumière, ni la largeur de la terre alors qu'elle évolue autour du chariot du soleil; je ne veux pas connaître la hauteur des étoiles, chastes flambeaux de la nuit; je ne veux pas savoir la profondeur de la mer, ni les secrets de ses palais sous-marins. Je veux être ignorant de toutes ces choses.   Que je connaisse seulement la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de votre amour rédempteur sur la Croix, ô doux Sauveur! Je désire tout ignorer du monde, tout excepté vous, ô Jésus. Et alors, par le plus étrange des paradoxes, je connaîtrai tout!


Résolution


En ce temps de la Passion, quoi de plus normal que de méditer sur les dernières paroles prononcées par notre Divin Sauveur.  Peut-être y découvrirons-nous que notre Charité envers Dieu est si faible que nous n'arrivons pas à pardonner à nos "ennemis" (tout en ne transigeant pas sur la Vérité !)

mercredi 13 mars 2019

MARS 2019

La douceur chrétienne


Les fruits de la douceur et de l'amertume


Écoutons ce sermon donné par Monsieur l'abbé Salenave le 3 mars 2019




Résolution :

Nous nous examinerons chaque jour pour vérifier que nous avons fait au moins un effort sur ce point, cette vertu essentielle pour pratiquer la Charité.


dimanche 6 janvier 2019

JANVIER 2019

La Sainte Messe et la Charité



" La présence des fidèles à notre messe traditionnelle n’est pas une finalité, la foi aux vérités dogmatiques ne l’est pas non plus ; ce qui compte c’est la foi qui opère par la charité et conduit à la charité pour Dieu et à la charité fraternelle. " 
R.P. Eugène de Villeurbanne




En janvier 1791, époque où la Constitution civile entra en vigueur dans le Lyonnais, Jean-Marie Vianney n'avait pas encore cinq ans. Messire Jacques Rey, curé de Dardilly depuis trente-neuf ans, eut la faiblesse de prêter le serment schismatique.  Mais, si l'on en croit les traditions locales, éclairé par l'exemple de son vicaire et des confrères voisins qui avaient refusé ce serment, il ne tarda pas à comprendre et à réprouver sa faute. Il demeura quelque temps encore dans sa paroisse, célébrant la messe dans une  maison particulière, puis il se retira а Lyon. Il devait s'exiler plus tard en Italie.

Si la disparition de M. Rey ne passa pas inaperçue, Dardilly n'en fut pas troublé au point que l'on pourrait croire. L'église demeurait ouverte, car un autre curé était venu, envoyé par le nouvel évêque de Lyon, un certain M. Lamourette, ami de Mirabeau, que la Constituante avait installé, sans mandat de Rome, en lieu et place du vénéré Mgr de Marbeuf. Le nouveau curé comme le nouvel évêque avaient bien prêté le serment ; mais comment les bonnes gens de Dardilly eussent-ils soupçonné que la Constitution civile, dont ils ignoraient peut-être même le nom, menait au schisme et à l'hérésie? Rien n'était changé extérieurement ni aux cérémonies ni aux coutumes paroissiales. Ces simples de cœur assistèrent quelque temps sans scrupule à la messe du « prêtre jureur». Ainsi agirent avec une entière bonne foi Matthieu Vianney, sa femme et ses enfants.

Toutefois leurs yeux s'ouvrirent. Catherine, l'aînée des filles, bien qu'elle n'eût à cette époque qu'une douzaine d'années, fut la première à soupçonner le péril. En chaire, le nouveau pasteur ne parlait pas tout à fait comme M. Rey ni sur les mêmes sujets.  Les mots de citoyen, de civisme, de constitution émaillaient ses discours. Il lui échappait d'attaquer ses prédécesseurs. De plus, l'assistance était plus mêlée et cependant plus clairsemée qu'autrefois : des personnes ferventes ne paraissaient plus aux offices publics - où allaient-elles donc а la messe le dimanche? - Certaines, au contraire, étaient là, aux places de choix, qui, auparavant, ne fréquentaient guère l'église. Catherine conçut des craintes, dont elle s'ouvrit а sa mère.

Sur les entrefaites, les Vianney reçurent la visite d'une parente d'Écully. « Ah ! mes amis, que faites-vous? leur dit-elle en apprenant qu'ils allaient à la messe du jureur. Les bons prêtres ont refusé le serment. Ils sont chassés, persécutés, obligés de fuir. Heureusement, à Écully, il y en a qui sont restés parmi nous. C'est à ceux-là qu'il faut vous adresser. Votre curé nouveau s'est séparé par son serment de l'Église catholique: il n'est pas votre pasteur; vous ne pouvez pas le suivre. »

Mise comme hors d'elle-même par cette révélation, la mère ne craignit pas d'aborder le malheureux prêtre et de lui reprocher son divorce d'avec la véritable Église.  Lui rappelant l'évangile où il est écrit que la branche détachée de la vigne sera jetée au feu, elle l'amena à cet aveu : « C'est vrai, Madame, le cep vaut mieux que le sarment. »           
    
Marie Vianney dut expliquer aux siens la faute de ce malheureux prêtre; car il est conté que le petit Jean-Marie « montra son horreur pour le péché du jour où il se mit à fuir le curé assermenté. »   Dès lors aussi l'église paroissiale, reliquaire de tant de chers souvenirs, où les parents s'étaient mariés, où les enfants avaient été baptisés, cessa d'être pour la famille Vianney un rendez-vous de prière. Elle ne tardera pas d'ailleurs à être fermée.

Cependant les jours de persécution sanglante étaient venus. Tout prêtre ayant refusé le serment s'expose а être arrêté et exécuté, sans recours possible, dans les vingt-quatre heures. Quiconque dénoncera le proscrit recevra cent livres de récompense. Quiconque, au contraire, lui donnera asile sera déporté. Ainsi parlent les lois des 24 avril, 17 septembre et 20 octobre 1793.  Malgré ces menaces terribles, les prêtres fidèles sillonnaient les environs de Dardilly, et la maison des Vianney les cacha l'un après l'autre. Quelquefois même ils y célébrèrent la messe. C'est un miracle que le fermier, suspecté par quelques jacobins du cru, n'ait pas payé de sa tête son audace sainte . Mais c'est à Lyon même ou dans sa banlieue que les confesseurs de la foi reçurent le plus souvent asile.

Des messagers sûrs envoyés d'Écully passaient à certains jours dans les maisons catholiques. Ils indiquaient la retraite où, la nuit suivante, seraient célébrés les divins mystères. Les Vianney partaient le soir, sans bruit, et ils marchaient parfois longtemps dans les ténèbres. Jean-Marie, tout heureux d'aller à cette fête, allongeait vaillamment ses petites jambes.  Ses frères et ses sœurs murmuraient quelquefois, trouvant la distance exagérée; mais leur mère leur disait: « Imitez donc Jean-Marie qui  est toujours empressé ! »

Arrivés à l'endroit convenu, on les introduisait dans une grange ou dans une chambre retirée, éclairée à peine. Près d'une pauvre table priait un inconnu, aux traits fatigués, au suave sourire.  Les mains accueillantes, il s'avançait vers les nouveaux venus.  Puis dans l'angle le plus reculé s'échangeaient des confidences. Derrière un rideau de fortune, à voix très basse, le bon prêtre conseillait, rassurait, absolvait les consciences. Quelquefois aussi  de jeunes fiancés demandaient qu'on bénît leur mariage. Enfin, c'était la messe, la messe tant désirée des grands et des petits.  Le prêtre disposait sur la table l'ardoise consacrée qu'il avait apportée avec lui, le missel, le calice et plusieurs hosties, car il ne serait pas seul à communier cette nuit-là ; il se revêtait à la hâte de ses ornements plissés et ternis. Puis, au milieu d'un silence profond, il commençait les prières liturgiques: Je monterai à l'autel du Seigneur. Quelle ferveur dans sa voix, et dans l'assistance, quel recueillement, quelle émotion ! Souvent au murmure des paroles saintes se mêlait le bruit des sanglots. On eût dit une messe des catacombes, avant l'arrestation et le martyre.

Combien fut remuée, en ces minutes inoubliables, l'âme du petit Vianney ! Agenouillé entre sa mère et ses sœurs, il priait comme un ange; il pleurait d'entendre pleurer. Puis avec quelle attention il écoutait, sans tout comprendre, les graves enseignements de ce proscrit qui risquait sa tête pour l’amour des âmes !

(…)

La Convention avait pensé détruire tout culte divin en fermant les églises; mais elle n'avait pu supprimer une des manifestations les plus touchantes de la religion: la charité. Dans la famille Vianney elle continua de fleurir. C'était une vertu héritée des aïeux. Et l'apôtre de cette vertu toute divine, ce fut justement notre jeune saint.

Un de ses camarades de Dardilly, André Provin, l'a vu dirigeant vers la maison des pauvres son petit âne gris chargé de bois. Jean-Marie rayonnait. « Mets deux ou trois bûches, » lui disait d'abord son père, puis il ajoutait: « Mets-en tant que tu pourras. »

Quant aux malheureux errants, sans feu ni lieu, ils trouvaient facilement asile à Dardilly. Les Vincent - parents de Marion - et les Vianney avaient conclu un arrangement qui montre leur bonne entente et surtout leurs sentiments délicatement chrétiens: les Vincent accueillaient les femmes indigentes ; les hommes devaient s'adresser aux Vianney. Jean-Marie indiquait aux mendiants la maison paternelle. Certains de ces pauvres, toujours à pied, avaient avec eux de petits enfants. Touché jusqu'aux larmes de les voir si malheureux, Jean-Marie prenait ces innocents par la main et, dès l'entrée, il les recommandait à sa mère.  A l'un il fallait des sabots, à l'autre une veste, un pantalon, une chemise. Mme Vianney se laissait toucher, et son petit garçon, le cœur en joie, voyait sortir les cadeaux désirés des flancs de la haute armoire.  Les pauvres s'asseyaient à la table avec les maîtres, et ils étaient les premiers servis.  Un soir, la Providence adressa aux Vianney jusqu'à vingt convives de cette sorte.
« Il n’y a plus assez de bouillon pour tous, disait quelquefois la fermière à son mari.
-Et bien, je m’en passerai, » répliquait le brave homme.
Le Curé d’Ars par Mgr Trochu (p 14 à 26 )


Résolution

Ne recherchons-nous pas l'assistance à la Sainte Messe pour nous, plutôt que pour rendre le culte d'adoration à Dieu ?  Ces familles ont refusé d'assister à ces messes des prêtres jureurs (sans doute valides) car celles-ci ne plaisaient pas à Dieu par l'intention manifestée par le célébrant en prêtant le serment constitutionnel. 

Et leur charité envers le prochain n'a fait que croître ...