Délicatesse dans la pratique de la
charité fraternelle.
Il n'est pas besoin de détailler
les actes extérieurs que ce tourment d'amour incite à poser au fur et à mesure
de son développement. Ils peuvent être 'très variables selon les circonstances,
Il est cependant une manifestation essentielle sur laquelle nous nous permettons
d'insister, à savoir une grande délicatesse dans la pratique de la charité
fraternelle.
Nul ne contestera que le tourment
d'amour pour le salut des âmes ne soit en lui-même un acte éminent de charité
fraternelle. Mais, s'il est vrai, il rejaillit nécessairement à l'extérieur. Maint
détail peut nous donner l'occasion de prouver que nous aimons nos frères comme
Notre-Seigneur les a aimés et que nous sommes prêts à tout pour les aider à se
sanctifier et par suite à trouver le vrai bonheur.
Rien d'ailleurs n'est peut-être
plus efficace que la charité fraternelle pour préparer les âmes à s'ouvrir à
l'action de la grâce. Elle constituera d'one en réalité un apostolat direct que
nous avons à tout instant l'occasion d'exercer sans qu'il nous détourne de notre
devoir d'état, même dans la vie contemplative.
Il ne s'agit pas en effet de
faire de longs discours, bien que, lorsque l'occasion se présente de parler de
l'amour de Dieu, nous ne devions pas craindre d'en rendre témoignage. La
reconnaissance nous fait un devoir de révéler à ceux qui nous approchent le
bonheur qu'on éprouve en s'efforçant d'aimer Dieu, et comment nous avons trouvé
le centuple en nous livrant à Lui sans réserve.
Mais dans la vie quotidienne nous
voulons prouver la réalité de notre amour pour Dieu, notre Père, en aimant pour
Lui tous nos frères.
Dans ce but l'Esprit-Saint nous
fait adopter spontanément une attitude très simple, dans laquelle on peut cependant
distinguer trois éléments dominants. Nous voulons d'abord éviter tout ce qui peut faire
souffrir notre prochain.
Ainsi éprouvons-nous le besoin de
veiller toujours attentivement sur nos paroles, même lorsque nous n'avons que
rarement l'occasion de rompre le silence, car nous savons que les manquements
sur ce point déplaisent souverainement au Seigneur. Nous saisis- sons de même
avec joie les différentes occasions qui se présentent de nous gêner un peu pour
supprimer ce qui risque de faire de la peine à ceux qui nous entourent. Le
démon est si habile à profiter des moindres failles pour essayer de susciter la
zizanie dans les groupements les plus unis que nous attachons une grande
importance à ce qui peut renforcer l'unité de tendance vers un même idéal. Nous
combattons de plus résolument en nous les défauts qu'on peut nous signaler afin
d'éviter de rendre la piété ennuyeuse.
Par ailleurs nous ne nous
étonnons pas des petits heurts que nous avons à subir malgré la bonne volonté
de tous. Plus le zèle des âmes embrase notre cœur, plus nous les supportons
facilement en nous gardant bien d'apprécier trop vite les intentions. Nous
avons appris à nous méfier de notre première impression: elle est bonne si un
tel nous est sympathique..., mais pour peu que nous éprouvions envers lui une
certaine antipathie…
Nous laissons donc tomber aussi
souvent qu'ils tentent de revenir à la charge ces petites rancunes secrètes,
ces relents de jalousie qui, entretenus volontairement, rendraient impossible
tout élan vers Dieu et nous empêcheraient de nous faire tout à tous. L'amour
nous fait voir le Christ dans tous ceux qui nous côtoient. Et, au lieu de nous
arrêter à juger humainement et à nous agacer de tel ou tel travers, nous allons
au-delà des apparences et reconnaissons Dieu qui vient à nous par nos frères.
Il nous semble peut-être qu'à Sa place nous aurions choisi autrement; mais nous
ne voulons pas discuter ce qu'Il fait et nous profitons avec joie des occasions
qu'Il nous donne ainsi de Lui prouver notre amour.
Bien plus nous voulons nous dévouer
à nos frères en profitant de tout ce que nous permettent les circonstances et
le devoir d'état. Ce dévouement, dont le champ d'action est extrêmement varié, trouve
à s'exercer d'abord sur le plan matériel. Lorsqu'on aime, on s'oublie
facilement et on est ainsi toujours prêt à rendre service. Nous évitons d'être indiscrets
et importuns en nous offrant à temps et à contretemps. Mais nous avons à cœur
de répondre: « Oui », tout de suite, avec un franc sourire, dès que l'on nous
demande un service, laissant entendre par là que nous sommes disponibles chaque
fois qu'il s'agit de faire plaisir.
L'amour soucieux de soulager la
peine et la misère se traduit également sur le plan spirituel.
Animés du désir de faire aimer
Dieu toujours davantage, nous voulons soutenir de façon spéciale ceux qui sont
dans l'épreuve. L'action directe, nous serait-elle permise, risque parfois
d'aviver des douleurs! que seule la grâce peut apaiser. Nous faisons du moins
passer dans notre sourire toute notre affection surnaturelle; et l'expérience
prouve que dans les grandes épreuves voulues par Dieu c'est un des rares
soulagements efficaces qu'Il permette.
Il s'établit ainsi, autour de
ceux qui cherchent Vraiment Dieu et en qui
brûle un tourment d'amour pour les âmes,
une atmosphère de charité fraternelle
rayonnante, toute de paix et de joie, qui dilate les cœurs et favorise
puissamment leur élan vers Dieu. Nous la retrouverons d'ailleurs autour de ceux
qui sont totalement livrés au Seigneur.
Notons simplement pour l'instant
que cette charité vraiment surnaturelle, outre sa valeur d'apostolat, rend
vraiment gloire à Dieu : De même que dans certaines familles nombreuses l'entente
parfaite des frères et des sœurs fait la joie et la gloire des parents, de même
l'union intense des membres d'une communauté glorifie leur Père des Cieux d'une
manière très spéciale. - Et nous pensons non seulement aux communautés
religieuses, mais aussi aux groupements divers que l'on rencontre dans le monde
: communautés paroissiales, communautés de travail …
L'amour surnaturel qui crée la
communion des esprits et des cœurs, tout on aidant chacun à mieux répondre à
l'amour de Dieu, s'élance comme un hommage et un chant de louange vers le Père
de tous ces frères du Christ qui sont heureux d'habiter ensemble, ainsi que
vers la Très Sainte Vierge, la Mère toujours attentive qui soutient leurs efforts
et atténue les petites difficultés.
Tel est l'idéal vers lequel nous
devons tendre dès le début de notre vie chrétienne, mais qui à certains moments
de la vie spirituelle répond à nos aspirations les plus intimes. Un tourment
paisible et fort nous excite à, nous oublier de plus en plus pour aider nos
frères à trouver la perle précieuse. Souvent le Saint-Esprit demande encore un
nouveau progrès. Il nous fait comprendre
que nous devons regarder plus haut et que, sans rien négliger de ce que nous
venons de dire, la perfection de l’amour exige que nous nous livrions davantage
à Son Action.
Dom Bélorgey
Dieu nous aime (p 173 à 178)