"J'étais en prison et vous êtes venus à moi"
Matt 25, 36
Père Lataste, apôtre des prisons (1832-1869) |
« Dieu, pour se donner à nous, ne nous demande pas ce que nous fûmes, il n'est touché que de ce que nous sommes. »
Ces paroles s'adressaient aux prisonnières internées à Cadillac-sur-Garonne, près de Bordeaux, au cours d'une instruction de retraite prêchée aux détenues, en septembre 1864. Il peut sembler ironique de ménager une retraite aux femmes d'une Maison Centrale, qu'on a justement soustraites du monde des vivants.
On peut croire que le prédicateur de cette étrange retraite n'était pas venu à la prison de femmes sans appréhension. Lui-même l'avouera plus tard: " J'y suis entré avec un grand serrement de cœur, avec la pensée que c'était ou que ce serait peut-être inutile. "
Il semble difficile, en effet, de rêver auditoire plus ingrat, moins préparé à recevoir la parole de Dieu. Les incroyants et les pécheurs qu'on atteint du haut d'une chaire d'église manifestent, au moins par leur présence, une velléité dans la connaissance de la vérité ou la rectification de leur conduite. Qu'attendre de misérables créatures, tombées, dévoyées, qui, après avoir connu l'humiliation de voir leur pauvre vie étalée au grand jour du tribunal, connaissent maintenant l'horreur et l'avilissement de la prison? Elles seraient là parce que le règlement les y forcerait. - Qui sait? une diversion, même pieuse, ne leur déplairait point: entendre une voix humaine, voir quelqu'un du dehors, du monde où l'on est libre, où l'on peut vivre, est un vrai soulagement dans la monotonie et l'abrutissement de la réclusion forcée. Si le Père Lataste avait eu quelque expérience du milieu des prisons de femmes, il aurait pu se laisser aller à des réflexions autrement déprimantes.
Il n'était pas homme à reculer devant une tâche ardue. Il avait même désiré l'occasion de secourir la
déchéance des filles perdues, la pire qu'il avait imaginée, mais il n'avait guère envisagé ce ministère, d'ailleurs incertain, qu'à la sortie des prisons. Est-ce qu'on évangélise 1'enfer? La mort dans l'âme il avait pris le chemin de la forteresse hostile. Le Supérieur avait désigné, au hasard, ce jeune religieux qui avait si bien débuté dans la parole publique; au reste, n'était-il pas originaire lui-même de Cadillac?
Le P. Lataste remplirait pourtant son travail consciencieusement, comme tout ce qu'il avait fait jusqu'ici.(...)
« Je ne sais, disait-il, si vous avez pris garde à ceci : en commençant, comment vous ai-je appelées? Mes chères sœurs. Mes chères sœurs! Comprenez-vous cela? Que m'êtes-vous, après tout? Hier, je ne vous connaissais pas, et dans quelques jours nous nous séparerons, peut-être pour ne plus nous revoir ici-bas. Bien plus, vous êtes des femmes dégradées - nous pouvons bien nous dire nos vérités, nous sommes en famille (sic) - vous êtes des femmes dégradées, avilies, mises au ban de la Société. Si vous sortiez d'ici, si l'on voit d'où vous sortez, on vous montrerait du doigt, on se méfierait de vous, on ne voudrait pas de vous peut-être même pour servantes ou pour femmes de peine. Je n'approuve point cela, je sais bien que c est, injuste souvent, cruel, tout ce que vous voudrez, mais enfin, cela est ainsi. Et maintenant, je suppose qu'au lieu de vous présenter comme servantes ou comme femmes de peine, vous alliez trouver une autre jeune fille, ou une autre femme de votre âge et que lui présentant la main vous lui disiez: « Sois mon amie, sois-moi une sœur, je t'aime », vous la verriez sans doute, si elle savait qui vous êtes, vous la verriez sans doute repousser votre main, avec pitié peut-être, avec dégoût aussi. Pauvre femme, se dirait-elle en elle-même, que me demande-t-elle là? Une voleuse, une reprise de justice, une empoisonneuse peut-être, une infanticide, que sais-je? Pauvre femme, voilà du pain si vous en voulez, mais je ne puis avoir commerce d'amitié avec vous; passez votre chemin. Voilà la plus douce réponse qu' on pourrait vous faire.
Et moi, moi ministre de Dieu, consacré, quoique très indigne, au service de ses autels, voué pour toute ma vie à la privation absolue de ce dont vous avez abusé, volontairement lié par les vœux perpétuels de pauvreté, d'obéissance, de chasteté, moi je viens à vous de moi-même, sans attendre que vous m'ayez appelé, et vous tendant les mains, je vous appelle : mes bonnes, mes pauvres, mes chères sœurs. Et ce n'est pas là une parole banale, je suis prêt à faire pour vous bien plus encore. Vous n'aurez qu'à le vouloir, qu'à le désirer, qu'à vous présenter à la porte du Saint Tribunal, et là, ce ne sera plus seulement un frère que je serai pour vous, ce sera tout ce qu'il y a de plus doux et de plus aimant sur la terre, et vous m'appellerez : Mon Père! et je vous nommerai : mon enfant ! et il s'établira entre nous, si vous le voulez, les relations de la plus franche, la plus sincère, la plus cordiale intimité qui fût jamais. Je vous ouvrirai mon cœur et vous m'ouvrirez le vôtre, et ces liens, quoique ne devant durer que quelques jours, seront si forts et si sacrés, que la mort même ne les pourra détruire, et que nous les retrouverons au ciel, un jour, si nous y allons, vous et moi ....
Et d'où vient que vous m'êtes si chères, vous que le monde oublie et méprise? ... C'est que nous sommes les ministres d'un Dieu qui vous aime, malgré vos souillures, d'un amour sans égal ici-bas, d'un Dieu qui vous poursuit de son amour sans cesse ... Si vous saviez comme il est bon, ce Dieu dont vous êtes séparées et qui vous rappelle ... »
M-H Lelong : Les Dominicaines des prisons
Résolutions
Nous n'avons sans doute pas tous l'occasion de visiter des prisonniers. Parfois l'occasion s'en présente ( Témoignage ) Mais nous devons et pouvons tous prier pour ces prisonniers : la prison est parfois un lieu de conversion ... pour autant que des âmes prient et se sacrifient pour eux.
Et il ne nous sera peut-être pas inutile de regarder en nous-même la manière dont nous considérons ces âmes.