mercredi 8 avril 2020

AVRIL 2020


PREMIÈRE PAROLE : LA COLÈRE
« Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font».

La passion qui, plus que toute autre, plonge dans la nature rationnelle de l'homme de profondes racines, c'est la colère. Il peut y avoir compatibilité entre la colère et la raison, car la colère est fondée sur la raison qui pèse l'injure faite et la satisfaction qu'il faut en exiger. - Nous ne nous mettons pas en colère à moins d'avoir subi quelque injure - ou de le croire.

Toute colère n'est pas coupable, car il existe une juste colère.  Nous en trouvons l'expression la plus parfaite en Notre-Seigneur chassant les vendeurs du Temple. Passant dans l'ombre des portiques à la fête de Pâque, il y trouva des commerçants avides dont les victimes étaient les fidèles désireux d'acheter des agneaux et des colombes pour les sacrifices.

Faisant un fouet de cordelettes il passa au milieu d'eux avec une calme dignité et une splendide maîtrise de soi, plus impressionnantes que le fouet. Il chassa au-dehors les bœufs et les moutons; de ses mains, il renversa les tables des changeurs qui se bousculèrent pour ramasser leurs pièces d'argent roulant sur le sol; du doigt il désigna les vendeurs de colombes et leur ordonna de quitter l'enceinte extérieure; à tous il dit : « Enlevez cela d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafiquants ».

Alors fut accomplie l'injonction de l'Ecriture: « Mettez-vous en colère et ne péchez pas ». Pour que la colère ne soit pas un péché il faut trois conditions: 1 ° Que la cause en soit juste: par exemple la défense de l'honneur de Dieu; 2° qu'elle ne dépasse pas les exigences de la cause, c'est-à-dire qu'elle soit contrôlée par la raison; 3° qu'elle soit rapidement maîtrisée: « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ».

Ici nous n'avons pas affaire à la colère juste, mais à la colère injuste, à celle qui n'a pas de cause légitime, à la colère excessive, vindicative, prolongée; à cette colère, à cette haine de Dieu, qui a détruit la religion sur un sixième de la surface de la terre; qui pendant la guerre civile en Espagne a brûlé 25.000 églises et chapelles, et massacré 12.000 serviteurs de Dieu; à cette haine qui n'est pas dirigée seulement contre Dieu mais contre autrui, et qu'enflamment les disciples de la guerre des classes qui parlent de paix et trouvent gloire dans la guerre; à cette colère rouge qui fait monter le sang au visage; à cette colère blanche qui le ramène au cœur et qui fait pâlir; à cette colère qui veut rendre le mal pour le mal, coup pour coup, œil pour œil, mensonge pour mensonge ; à la colère du poing tendu prêt à frapper non pour défendu qu'on aime, mais pour attaquer ce qu'on hait; en un mot à cette colère qui détruira notre civilisation si nous ne la surmontons par l'amour.

Notre-Seigneur est venu réparer le péché de colère, d'abord en nous enseignant une prière: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés» ; puis en nous donnant un précepte : « Aimez vos ennemis, faites du bien ceux qui vous haïssent».  Plus concrètement encore, il ajouta: « Si quelqu'un veut t'obliger à faire un mille avec lui, fais-en deux. .. celui qui veut t'appeler en justice pour avoir ta tunique, abandonne aussi ton manteau ».

La vengeance et les représailles sont défendues: « Vous avez entendu qu'il a été dit : œil pour œil, dent pour dent ...  Mais, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis».  Ces préceptes étaient d'autant plus frappants, qu'il les pratiquait lui-même.

Quand les Générasiens se fâchèrent contre lui parce qu’il attachait plus de valeur à un homme infirme qu'à un troupeau de porcs, l'Ecriture ne rapporte aucune réplique : « Entrant dans la barque, il passa de l'autre côté du lac ».   Au soldat qui le frappa de son poing armé, il répondit avec douceur : « Si j'ai mal parlé, prouve-le, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu» ?

La réparation parfaite pour la colère fut offerte au Calvaire.  L'on pourrait dire que la colère et la haine conduisirent le Sauveur sur cette colline.  Son propre peuple le haïssait puisqu'il demanda son crucifiement;  la loi le haïssait puisqu'elle renia la justice pour condamner le Juste; les Gentils le haïssaient puisqu'ils consentirent à sa mort; les forêts le haïssaient puisqu'un arbre porta le fardeau de son poids; les fleurs le haïssaient puisqu'elles entrelacèrent des épines pour son front; les entrailles de la terre le haïssaient puisqu'elles donnèrent du fer pour le marteau et les clous.

Enfin pour personnifier toute cette haine, la première génération de poings tendus qu'il y eut dans l'histoire, debout au pied de la Croix, les brandit à la face de Dieu. Ce jour-là on déchira son corps en lambeaux, comme aujourd'hui on brise son tabernacle ; naguère en Espagne et en Russie on a mis les crucifix en pièces de même que jadis sur le Calvaire on frappa le Crucifié.

Ne croyez pas que le poing fermé soit une nouveauté du XXe siècle; les gens au cœur glacé qui le lèvent aujourd'hui sont la postérité directe de ceux qui, au pied de la Croix, levaient la main contre l'Amour et chantaient d'une voix rauque la première Internationale de la haine.

Lorsqu'on contemple ces poings crispés, on ne peut s'empêcher de sentir que si jamais colère put être justifiée, si jamais il convint à la justice de juger, si jamais le pouvoir eut le droit de frapper, si jamais l'innocence put légitimement protester; si jamais Dieu put à bon droit, tirer vengeance de l'homme, ce fut à ce moment-là.

Et pourtant en cet instant où la faucille et le marteau s'unirent pour couper l'herbe sur la colline du Calvaire afin d'y ériger une Croix et pour enfoncer des clous dans les mains de l'Amour incarné afin de les empêcher de bénir, le Sauveur, pareil à l'arbre qui parfume la cognée qui le tue, laissa tomber pour la première fois sur cette terre la parole qui répare parfaitement pour la colère et la haine, prière pour l'armée des poings tendus: « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».

Le plus grand pécheur peut maintenant être sauvé; le péché le plus noir peut être effacé; le poing crispé peut s'ouvrir; l'impardonnable peut être pardonné.   Alors qu'ils étaient sûrs de savoir ce qu'ils faisaient, il s'empara du seul moyen de pallier leur crime, et il le fit valoir aux yeux de son Père avec toute l'ardeur d'un  Cœur miséricordieux : leur excuse, c'est l'ignorance : « ils ne savent pas ce qu’ils font ».  S’ils savaient ce qu’ils faisaient en clouant l’Amour sur un arbre, et s’ils continuaient pourtant de le faire, ils ne seraient jamais sauvés.  Ils seraient damnés.

C’est parce que les poings se ferment par ignorance qu’ils peuvent s’ouvrir et se transformer en mains jointes ; c’est parce que la langue blasphème par ignorance qu’elle peut encore prier.  Ce n’est pas la sagesse  consciente qui sauve ; c’est l’ignorance inconsciente.

Mgr F.SHEEN (Du haut de la Croix – p 209 à 212)

Résolution 

Nos colères sont-elles justes ou injustes ?  Les premières participent de la Charité, les secondes vont à son encontre.  Au temple et du haut de la Croix, Notre-Seigneur nous en montre l’exemple.