La Sainte Messe et la Charité
" La présence des fidèles à notre messe traditionnelle n’est pas une finalité, la foi aux vérités dogmatiques ne l’est pas non plus ; ce qui compte c’est la foi qui opère par la charité et conduit à la charité pour Dieu et à la charité fraternelle. "
R.P. Eugène de Villeurbanne
En janvier 1791, époque où la Constitution civile entra en vigueur
dans le Lyonnais, Jean-Marie Vianney n'avait pas encore cinq ans. Messire
Jacques Rey, curé de Dardilly depuis trente-neuf ans, eut la faiblesse de
prêter le serment schismatique. Mais, si
l'on en croit les traditions locales, éclairé par l'exemple de son vicaire et
des confrères voisins qui avaient refusé ce serment, il ne tarda pas à
comprendre et à réprouver sa faute. Il demeura quelque temps encore dans sa
paroisse, célébrant la messe dans une
maison particulière, puis il se retira а Lyon. Il devait s'exiler plus tard
en Italie.
Si la disparition de M. Rey ne passa pas inaperçue, Dardilly
n'en fut pas troublé au point que l'on pourrait croire. L'église demeurait
ouverte, car un autre curé était venu, envoyé par le nouvel évêque de Lyon, un
certain M. Lamourette, ami de Mirabeau, que la Constituante avait installé,
sans mandat de Rome, en lieu et place du vénéré Mgr de Marbeuf. Le nouveau curé
comme le nouvel évêque avaient bien prêté le serment ; mais comment les bonnes
gens de Dardilly eussent-ils soupçonné que la Constitution civile, dont ils
ignoraient peut-être même le nom, menait au schisme et à l'hérésie? Rien n'était
changé extérieurement ni aux cérémonies ni aux coutumes paroissiales. Ces
simples de cœur assistèrent quelque temps sans scrupule à la messe du « prêtre
jureur». Ainsi agirent avec une entière bonne foi Matthieu Vianney, sa femme et
ses enfants.
Toutefois leurs yeux
s'ouvrirent. Catherine, l'aînée des filles, bien qu'elle n'eût à cette époque
qu'une douzaine d'années, fut la première à soupçonner le péril. En chaire, le
nouveau pasteur ne parlait pas tout à fait comme M. Rey ni sur les mêmes
sujets. Les mots de citoyen, de civisme, de constitution émaillaient ses discours.
Il lui échappait d'attaquer ses prédécesseurs. De plus, l'assistance était plus
mêlée et cependant plus clairsemée qu'autrefois : des personnes ferventes ne
paraissaient plus aux offices publics - où allaient-elles donc а la messe le
dimanche? - Certaines, au contraire, étaient là, aux places de choix, qui, auparavant, ne fréquentaient guère l'église. Catherine conçut des craintes, dont
elle s'ouvrit а sa mère.
Sur les entrefaites, les Vianney reçurent la visite d'une
parente d'Écully. « Ah ! mes amis, que faites-vous? leur dit-elle en apprenant
qu'ils allaient à la messe du jureur.
Les bons prêtres ont refusé le serment. Ils sont chassés, persécutés, obligés
de fuir. Heureusement, à Écully, il y en a qui sont restés parmi nous. C'est à
ceux-là qu'il faut vous adresser. Votre curé nouveau s'est séparé par son serment
de l'Église catholique: il n'est pas votre pasteur; vous ne pouvez pas le
suivre. »
Mise comme hors d'elle-même par cette révélation, la mère ne
craignit pas d'aborder le malheureux prêtre et de lui reprocher son divorce
d'avec la véritable Église. Lui
rappelant l'évangile où il est écrit que la branche détachée de la vigne sera
jetée au feu, elle l'amena à cet aveu : « C'est vrai, Madame, le cep vaut
mieux que le sarment. »
Marie Vianney dut expliquer aux siens la faute de ce
malheureux prêtre; car il est conté que le petit Jean-Marie « montra son horreur
pour le péché du jour où il se mit à fuir le curé assermenté. » Dès lors aussi l'église paroissiale, reliquaire
de tant de chers souvenirs, où les parents s'étaient mariés, où les enfants
avaient été baptisés, cessa d'être pour la famille Vianney un rendez-vous de prière.
Elle ne tardera pas d'ailleurs à être fermée.
Cependant les jours de persécution sanglante étaient venus. Tout
prêtre ayant refusé le serment s'expose а être arrêté et exécuté, sans recours
possible, dans les vingt-quatre heures. Quiconque dénoncera le proscrit recevra
cent livres de récompense. Quiconque, au contraire, lui donnera asile sera déporté.
Ainsi parlent les lois des 24 avril, 17 septembre et 20 octobre 1793. Malgré ces menaces terribles, les prêtres fidèles
sillonnaient les environs de Dardilly, et la maison des Vianney les cacha l'un
après l'autre. Quelquefois même ils y célébrèrent la messe. C'est un miracle
que le fermier, suspecté par quelques jacobins du cru, n'ait pas payé de sa tête
son audace sainte . Mais c'est à Lyon même ou dans sa banlieue que les
confesseurs de la foi reçurent le plus souvent asile.
Des messagers sûrs envoyés d'Écully passaient à certains
jours dans les maisons catholiques. Ils indiquaient la retraite où, la nuit
suivante, seraient célébrés les divins mystères. Les Vianney partaient le soir,
sans bruit, et ils marchaient parfois longtemps dans les ténèbres. Jean-Marie,
tout heureux d'aller à cette fête, allongeait vaillamment ses petites jambes. Ses frères et ses sœurs murmuraient
quelquefois, trouvant la distance exagérée; mais leur mère leur disait: «
Imitez donc Jean-Marie qui est toujours
empressé ! »
Arrivés à l'endroit convenu, on les introduisait dans une
grange ou dans une chambre retirée, éclairée à peine. Près d'une pauvre table
priait un inconnu, aux traits fatigués, au suave sourire. Les mains accueillantes, il s'avançait vers
les nouveaux venus. Puis dans l'angle le
plus reculé s'échangeaient des confidences. Derrière un rideau de fortune, à
voix très basse, le bon prêtre conseillait, rassurait, absolvait les consciences.
Quelquefois aussi de jeunes fiancés
demandaient qu'on bénît leur mariage. Enfin, c'était la messe, la messe tant désirée
des grands et des petits. Le prêtre
disposait sur la table l'ardoise consacrée qu'il avait apportée avec lui, le
missel, le calice et plusieurs hosties, car il ne serait pas seul à communier
cette nuit-là ; il se revêtait à la hâte de ses ornements plissés et ternis.
Puis, au milieu d'un silence profond, il commençait les prières liturgiques: Je monterai à l'autel du Seigneur.
Quelle ferveur dans sa voix, et dans l'assistance, quel recueillement, quelle émotion
! Souvent au murmure des paroles saintes se mêlait le bruit des sanglots. On
eût dit une messe des catacombes, avant l'arrestation et le martyre.
Combien fut remuée, en ces minutes inoubliables, l'âme du petit
Vianney ! Agenouillé entre sa mère et ses sœurs, il priait comme un ange; il
pleurait d'entendre pleurer. Puis avec quelle attention il écoutait, sans tout
comprendre, les graves enseignements de ce proscrit qui risquait sa tête pour l’amour
des âmes !
(…)
La Convention avait pensé détruire
tout culte divin en fermant les églises; mais elle n'avait pu supprimer une des
manifestations les plus touchantes de la religion: la charité. Dans la famille Vianney
elle continua de fleurir. C'était une vertu héritée des aïeux. Et l'apôtre de
cette vertu toute divine, ce fut justement notre jeune saint.
Un de ses camarades de Dardilly,
André Provin, l'a vu dirigeant vers la maison des pauvres son petit âne gris
chargé de bois. Jean-Marie rayonnait. « Mets deux ou trois bûches, » lui disait
d'abord son père, puis il ajoutait: « Mets-en tant que tu pourras. »
Quant aux malheureux errants, sans
feu ni lieu, ils trouvaient facilement asile à Dardilly. Les Vincent - parents
de Marion - et les Vianney avaient conclu un arrangement qui montre leur bonne
entente et surtout leurs sentiments délicatement chrétiens: les Vincent
accueillaient les femmes indigentes ; les hommes devaient s'adresser aux Vianney.
Jean-Marie indiquait aux mendiants la maison paternelle. Certains de ces
pauvres, toujours à pied, avaient avec eux de petits enfants. Touché jusqu'aux larmes
de les voir si malheureux, Jean-Marie prenait ces innocents par la main et, dès
l'entrée, il les recommandait à sa mère. A l'un il fallait des sabots, à l'autre une veste,
un pantalon, une chemise. Mme Vianney se laissait toucher, et son petit garçon,
le cœur en joie, voyait sortir les cadeaux
désirés des flancs de la haute armoire. Les
pauvres s'asseyaient à la table avec les maîtres, et ils étaient les premiers
servis. Un soir, la Providence adressa
aux Vianney jusqu'à vingt convives de cette sorte.
« Il n’y a plus assez de
bouillon pour tous, disait quelquefois la fermière à son mari.
-Et bien, je m’en passerai, »
répliquait le brave homme.
Le
Curé d’Ars par Mgr Trochu (p 14 à 26 )
Résolution
Ne recherchons-nous pas l'assistance à la Sainte Messe pour nous, plutôt que pour rendre le culte d'adoration à Dieu ? Ces familles ont refusé d'assister à ces messes des prêtres jureurs (sans doute valides) car celles-ci ne plaisaient pas à Dieu par l'intention manifestée par le célébrant en prêtant le serment constitutionnel.
Et leur charité envers le prochain n'a fait que croître ...