mercredi 10 avril 2019

AVRIL 2019


PREMIÈRE PAROLE
« Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »

 

Extrait de : Du haut de la Croix (Mgr F. SHEEN)

La psychologie admet qu'à l'heure de l'agonie le cœur humain adresse ses paroles d'amour aux êtres qui lui sont les plus proches et les plus chers. Pourquoi penser qu'il en serait autrement de Celui qui fut le Cœur suprême? S'il s'adressa selon une gradation à ceux qu'il aima le plus, c'est dans ses trois premières paroles que nous pouvons espérer trouver l'ordre de son amour et de son affection. Ses premières paroles concernaient ses ennemis: « Père, pardonnez-leur », les secondes les pécheurs: « Ce jour-même tu seras avec moi en Paradis », et  les troisièmes s'adressaient aux saints: « Femme, voici ton Fils ».   Ennemis, pécheurs, saints - tel est l'ordre de l'amour et de la sollicitude de Dieu.


La foule attendait anxieusement sa première parole. Les bourreaux s'attendaient à ce qu'il criât comme l'avait fait, avant lui, tout homme cloué au gibet de la Croix. Sénèque nous rapporte que ceux que l'on crucifiait maudissaient le jour de leur naissance, les bourreaux, leur mère, et allaient même jusqu'à cracher sur les assistants.   Cicéron relate qu'il était parfois nécessaire de couper la langue des crucifiés pour mettre fin à leurs horribles blasphèmes. C'est pourquoi les bourreaux attendaient un cri, mais non pas le cri qu'ils entendirent. Les Scribes et les Pharisiens aussi attendaient un cri, sûrs qu'ils étaient qu'à celui qui avait prêché: « Aimez vos ennemis» et « Faites le bien à ceux qui vous haïssent », le percement des pieds et des mains ferait oublier, à cette heure, un tel Évangile.  Il leur semblait que les affres de la crucifixion et de l'agonie feraient s'envoler toute résolution qu'il aurait pu prendre de sauver les apparences.  Tout le monde attendait un cri, mais, à l'exception des trois personnages au pied de la Croix, nul ne s'attendait au cri que l'on entendit. Comme certains arbres odorants qui imprègnent de leurs effluves la hache même qui les abat, le Cœur divin, sur l'Arbre de l'Amour, exhala de ses profondeurs moins un cri qu'une prière, la prière murmurée et pleine de douceur du pardon et de la rémission: « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ».


Pardonner à qui ? Pardonner aux ennemis? Au soldat qui le frappa de son poing dans la cour de Caïphe; à Pilate, le politique,  qui condamna un Dieu pour conserver l'amitié de César; à Hérode qui revêtit la Sagesse d'un déguisement ridicule; aux soldats qui pendirent le Roi des rois à un arbre, entre ciel et terre - leur pardonner? Pourquoi leur pardonner? Parce qu'ils savent ce qu'ils font? Non, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font.


S'ils savaient ce qu'ils faisaient et persistaient néanmoins à le faire; s'ils savaient quel crime horrible ils commettaient en condamnant la Vie à mourir, s'ils savaient quel simulacre de justice leur avait fait préférer Barabbas au Christ; s'ils comprenaient la cruauté de se saisir de ces pieds qui foulèrent les 
collines éternelles pour les clouer à un arbre; s'ils savaient ce qu'ils faisaient et continuaient cependant, sans se soucier que ce même sang qu'ils versaient pouvait les racheter, jamais ils ne seraient sauvés! Oui, ils seraient damnés, s'ils n'ignoraient pas l'acte horrible qu'ils commettaient en crucifiant le Christ! Seule l'ignorance de leur grand péché les amena à portée de voix de ce cri lancé depuis la Croix. Ce n'est pas le savoir qui sauve, c'est l'ignorance !


Il n'est pas de rédemption pour les anges déchus. Ces grands esprits conduits par le porteur de lumière, Lucifer, doués d'une intelligence en regard de laquelle la nôtre est celle d'un enfant, virent les conséquences de chacune de leurs décisions aussi  clairement que nous voyons que deux et deux font quatre. Leur décision prise, ils la rendirent irrévocable, excluant tout retour et  par là toute rédemption future. C'est parce qu'ils savaient ce qu'ils faisaient que, rejetés à tout jamais, ils ne purent entendre le cri qui  jaillit de la Croix. Ce n'est pas le savoir qui sauve; c'est l'ignorance!

De même, si nous savions combien terrible est le péché et  continuions cependant à pécher; si nous savions tout l'amour  contenu dans l'Incarnation et refusions pourtant de nous nourrir du Pain de vie: si nous savions quel amour d'abnégation il y eut  dans le sacrifice de la Croix, et refusions pourtant de remplir du même amour le calice de notre cœur; si nous comprenions toute la miséricorde contenue dans le sacrement de Pénitence et  refusions pourtant de ployer le genou avec humilité devant une 
main ayant pouvoir de délier à la fois dans le ciel et sur la terre; si nous savions tout ce que l'Eucharistie renferme de vie, et  refusions pourtant de manger le Pain qui rend la vie éternelle et  de boire le Vin qui produit et fait croître les vierges; si nous savions toute la vérité en dépôt dans l'Église, corps mystique du Christ, et pourtant nous en détournions comme autant de Pilates ; si nous savions toutes ces choses, et si néanmoins nous nous tenions à l'écart du Christ et de son  Eglise, nous serions perdus! Notre ignorance de la bonté de Dieu est notre seule excuse de n'être pas des saints!


Prière

Ô Jésus! Je ne désire pas être savant dans la connaissance du monde; je ne désire pas savoir sur quelle enclume les flocons de neige sont façonnés, dans quel recoin se cache l'obscurité, ni d'où provient la glace; ni pourquoi l'or se trouve dans la terre,  pourquoi le feu s'élève en fumée vers les cieux.  Je ne désire pas connaître la littérature ni les sciences, ni cet univers aux quatre dimensions dans lequel nous vivons; je ne veux pas connaître la longueur de l'univers en années-lumière, ni la largeur de la terre alors qu'elle évolue autour du chariot du soleil; je ne veux pas connaître la hauteur des étoiles, chastes flambeaux de la nuit; je ne veux pas savoir la profondeur de la mer, ni les secrets de ses palais sous-marins. Je veux être ignorant de toutes ces choses.   Que je connaisse seulement la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de votre amour rédempteur sur la Croix, ô doux Sauveur! Je désire tout ignorer du monde, tout excepté vous, ô Jésus. Et alors, par le plus étrange des paradoxes, je connaîtrai tout!


Résolution


En ce temps de la Passion, quoi de plus normal que de méditer sur les dernières paroles prononcées par notre Divin Sauveur.  Peut-être y découvrirons-nous que notre Charité envers Dieu est si faible que nous n'arrivons pas à pardonner à nos "ennemis" (tout en ne transigeant pas sur la Vérité !)