« Femme, voici votre fils »
Extrait de : Du haut de la Croix (Mgr F. SHEEN)
Les hommes sont plus rapprochés moralement dans un abri antiaérien, ou dans
un trou d'obus, que dans le bureau d'un homme d'affaires ou à une table de
bridge. A mesure que les chagrins
augmentent, un sentiment d'unité s'intensifie. C'est pourquoi on peut conjecturer que c'est
sur le Calvaire, cette cime tragique dans la vie de notre divin Maître et de sa Mère, que se révélerait le mieux le
caractère universel de la religion.
Il est particulièrement intéressant de noter que dans
son évangile, saint Jean relate, avant
la parole dite du haut de la Croix par Notre-Seigneur à sa Mère, le récit de la
tunique sans couture que notre divin Maître avait portée et que les soldats étaient
en train de tirer au sort. « Quand
les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements, dont ils firent
quatre parts, une pour chaque soldat, et aussi sa tunique. Or la tunique était
sans couture, toute d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas.» (S. Jean
XIX, 23.)
Pourquoi, parmi tous les détails de la Passion, celui de
cette tunique lui revient-il soudain à l'esprit ? C'est parce qu'elle avait été
tissée par Marie. Cette tunique était si belle que ces criminels endurcis refusèrent
de la déchirer. Selon la coutume, ils
avaient droit aux vêtements de ceux qu'ils crucifiaient. Mais cette fois les criminels
refusèrent de se partager la dépouille. Ils la jouèrent aux dés, afin que le
gagnant eût la tunique entière.
Après avoir cédé ses vêtements à ceux qui les tirent au
sort, Jésus sur le Calvaire va céder maintenant celle qui tissa la tunique sans
couture. Notre divin Maître jette un regard sur les deux êtres qu'il a le plus
aimés sur terre : Marie et Jean. Il s'adresse d'abord à sa Sainte Mère. Il ne l'appelle pas «Mère», mais « Femme».
Comme saint Bernard le remarque avec dévotion, s'il l'avait appelée
«Mère» elle aurait été sa Mère
uniquement. Mais pour indiquer qu'elle devient à ce moment la Mère de tous ceux
qu'il rachète, il lui donne ce titre de maternité universelle « Femme ».
Puis, désignant d'un signe de tête son disciple bien-aimé qui est présent,
il ajoute: «Voici ton fils ». Il ne
l'appelle pas Jean, car s'il le faisait, Jean ne serait que le fils de Zébédée
; il ne le désigne pas par son nom, afin qu'il puisse représenter toute
l'humanité.
C'était comme si Notre-Seigneur avait dit à sa Mère: «Vous avez
déjà un Fils, et ce Fils c'est moi. Vous ne pouvez en avoir d'autre. Tous les
autres seront en moi comme les sarments sont sur la vigne. Jean ne fait qu'un
avec moi, et moi avec lui. C'est pourquoi je ne dis pas: « Voici un autre fils
! » mais « Me voici en Jean, et voici Jean en moi ».
C'était une sorte de testament. A la dernière Cène, il avait
légué son corps et son sang à l'humanité. « Ceci
est mon corps! Ceci est mon sang! »
Maintenant il léguait sa Mère: « Voici ta
Mère ». Notre divin Maître établissait, à ce moment, de nouveaux liens de
parenté; une parenté par laquelle sa propre Mère devenait la mère de tous les
hommes, tandis que nous devenions ses enfants.
Ce nouveau lien n'était pas charnel, mais spirituel, car il
est d'autres liens que ceux du sang. Si le sang est plus épais que l'eau, l'esprit
est plus important que le sang. Tous les hommes sans distinction de couleur, de
race, de sang, ne font qu'un dans l'Esprit : « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est pour moi frère, sœur et mère».
(S. Matthieu XII, 50.)
Dans le Christ, Marie avait vu Dieu; maintenant son Fils lui
demandait de voir ce même Christ dans tous les chrétiens. Il ne lui demandait
pas d'aimer un autre que lui, mais il serait désormais dans tous ceux qu'il
avait rachetés. La veille, il avait prié pour que tous ne fassent qu'un en lui,
comme il n'y a qu'une même vie pour la
vigne et ses sarments. Maintenant, il
instituait Marie gardienne non seulement de la vigne mais aussi des sarments,
dans le temps et l'éternité. Elle avait donné le jour au Roi, et maintenant elle
engendrait le royaume.
L'idée même de cette Epouse de l'Esprit devenant la Mère du genre
humain nous accable, non pas parce que c'est Dieu qui la pensa, mais bien parce
que nous y pensons trop rarement. Nous sommes si accoutumés à voir la Madone
avec l'Enfant à Bethléhem, que nous oublions que c'est cette même Madone qui nous
soutient, vous et moi, au Calvaire.
A la crèche, le Christ n'était qu'un nouveau-né; au Calvaire, il est le chef de l'humanité
rachetée. A Bethléhem, Marie était la Mère du Christ; sur le Calvaire elle
devient la Mère des chrétiens. Dans l'étable
ce fut sans souffrance qu'elle mit son Fils au monde et devint la Mère de joie;
à la Croix, elle nous enfanta dans la douleur et devint la Reine des martyrs.
En aucun cas, une femme n'oublie l'enfant de ses entrailles.
Lorsque Marie entendit Notre-Seigneur établir cette nouvelle
parenté, elle se souvint nettement du début de ces liens spirituels. Comme
celle de Jésus, la troisième parole de Marie se rapportait à la parenté. Il y
avait bien longtemps de cela.
Quand l'ange lui eut annoncé qu'elle serait la Mère de Dieu,
ce qui eut suffi à la lier а tout le genre humain, il ajouta qu'Élisabeth, sa
cousine avancée en âge, était alors enceinte: « Et voici qu'Élisabeth, votre parente, a conçu, elle aussi, un fils dans
sa vieillesse, et ce mois-ci est le sixième pour elle que l'on appelait stérile,
car rien ne sera impossible pour Dieu». Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur: qu'il me soit
fait selon votre parole! » Et l'ange la quitta.
En ces jours-là, Marie partit et s'en alla en hâte vers la montagne,
en une ville de Juda. Elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans
son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. Et elle s'écria à haute voix,
disant: « Vous êtes bénie entre toutes les
femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Et d'où m'est-il donné que la mère
de mon Seigneur vienne à moi? Car votre voix, lorsque vous m'avez saluée, n'a pas plus tôt frappé mes oreilles,
que l'enfant a tressailli de joie dans mon sein. Heureuse celle qui a cru! Car
elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur! »
(S. Luc I, 36-45.)
On admet, à juste titre, que nul mieux qu'une femme qui
porte un enfant, ne peut décliner tout service envers autrui. Si l'on ajoute а
ceci, noblesse oblige, le fait que cette
femme porte en elle le Maître de l'univers, entre toutes les créatures elle
aurait le droit de se croire dispensée des obligations sociales et des devoirs envers
ses voisins. Les femmes dans cette condition ne vont pas servir, mais se font
servir.
Or nous voyons ici la plus grande de toutes les femmes devenir la servante des autres. Sans se
targuer de sa dignité en disant: « Je suis la Mère de Dieu», mais
comprenant que sa cousine âgée pouvait avoir besoin d'elle, cette Reine
enceinte, au lieu d'attendre son heure dans une paisible retraite, comme le
font les autres femmes, monte sur un âne, fait un voyage de cinq jours dans la montagne, et a une telle conscience
de la fraternité spirituelle que, selon le langage de l'Écriture Sainte, elle
le fait « en hâte». (S. Luc I, 39.)
Trente-trois ans avant le Calvaire, Marie reconnaît que sa mission
est d'apporter son Seigneur au genre humain; et elle est prise d'une telle
impatience sainte, qu'elle commence cette mission avant même que son Fils ait
vu le jour. Dans ce voyage, j'aime à voir en elle la première infirmière chrétienne
qui en plus des soins qu'elle prodigue vient apporter le Christ dans la vie de ses
malades: Salut des infirmes, secours des chrétiens, disons- nous dans ses
litanies.
Résolution
Nous sommes tous fils d’une même Mère et pas de n’importe
quelle Mère ! Alors quelle sera
notre attitude vis-à-vis de notre Mère (en ce mois qui lui est particulièrement
dédié) ? Et ne l’imiterons-nous pas
dans sa charité envers le prochain ?