Supporter les contrariétés
A l’école de Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus
Plus encore que les autres jours je sens que je me suis extrêmement
mal expliquée. J'ai fait une espèce de discours sur la charité qui doit vous avoir
fatiguée à lire; pardonnez-moi, ma Mère bien-aimée, et songez qu'en ce moment les infirmières pratiquent à
mon égard ce que je viens d'écrire; elles ne craignent pas de faire deux mille
pas, là où vingt suffiraient, j'ai donc pu contempler la charité en action !
Sans doute mon âme doit s'en trouver embaumée; pour mon esprit j'avoue qu'il s'est
un peu paralysé devant un pareil dévouement et ma plume a perdu de sa légèreté.
Pour qu'il me soit possible de traduire mes pensées, il faut que je sois comme le passereau solitaire, et c'est
rarement mon sort. Lorsque je commence à
prendre la plume, voilà une bonne sœur qui
passe près de moi, la fourche sur l'épaule.
Elle croit me distraire en me faisant un
peu la causette: foin, canards, poules, visite du docteur, tout vient sur le
tapis; à dire vrai cela ne dure pas longtemps, mais il est plus d'une bonne sœur
charitable et tout à coup une autre faneuse dépose des fleurs sur mes genoux,
croyant peut-être m'inspirer des idées poétiques. Moi qui ne les recherche pas en ce moment, j'aimerais
mieux que les fleurs restent à se balancer sur leurs tiges. Enfin, fatiguée
d'ouvrir et de fermer ce fameux cahier, j'ouvre un livre (qui ne veut pas
rester ouvert) et je dis résolument que je copie des pensées des psaumes et de
l'Evangile pour la fête de Notre Mère. C'est bien vrai car je n'économise pas
les citations ... Mère chérie, je vous amuserais, je crois, en vous racontant
toutes mes aventures dans les bosquets du Carmel, je ne sais pas si j'ai pu écrire
dix lignes sans être dérangée; cela ne devrait pas me faire rire, ni m'amuser,
cependant pour l'amour du Bon Dieu et de mes sœurs
(si charitables envers moi) je tâche d'avoir l'air contente et surtout de l'être…
Tenez, voici une faneuse qui s'éloigne après m'avoir dit d'un ton compatissant:
" Ma pauvr' ptite sœur, ça doit vous fatiguer d'écrire
comme ça toute la journée. " -
" Soyez tranquille, lui ai-je .répondu,
je parais écrire beaucoup mais véritablement je n'écris presque rien. " -
" Tant mieux ! " m'a-t-elle dit d'un air rassuré, " mais c’est
égal, j'suis bin contente qu'on soit en train d'faner car ça vous distrait
toujours un peu. " En effet, c'est une si grande distraction pour moi
(sans compter les visites des infirmières) que je ne mens pas en disant n'écrire
presque rien.
Manuscrits autobiographiques
(A Mère Marie de Gonzague : Lumières
sur la Charité)
Résolution
Comment supportons-nous les petites contrariétés de la vie quotidienne ?