Jésus et la Samaritaine |
Bien souvent, hélas, le prochain
est un écran de Dieu au lieu d’être un transparent de Dieu. Par son attrait humain ou le vertige de la chair, il nous attire à lui, nous perdant en
lui et avec lui. A moins, qu'au
contraire, il nous demeure étranger, indifférent. Dans nos contacts avec les autres, bien peu
nous livrent Dieu. Il suffirait, cependant, de nous rencontrer en son Nom «
pour que Dieu soit » au milieu de nous.
Le comportement vis-à-vis du
prochain fait d’abord l'objet d'un devoir primordial puisque semblable au
premier de tous : l'amour de Dieu.
L’Évangile nous l’enseigne : « Mon Commandement est que vous vous aimiez
les uns les autres ». Et l'apôtre Saint
Jean ajoute : « Aimez-vous… C'est le Commandement
du Seigneur, et à lui seul, il suffit ».
Nous oublions généralement que
nous ne pouvons mesurer l'amour de Dieu qu'à travers l'amour que le Christ nous
a manifesté. Or, le Christ nous a aimés
comme son prochain, et pour cela, il a commencé par se faire homme,
c’est-à-dire semblable à nous. Mais bien
plus, Il a donné sa vie pour nous. Ne
serait-il pas logique alors que nous aussi nous donnions notre vie pour nos
frères, sous quelque forme que fût ce don?
L'amour du prochain exige de nous
une attention particulière : l'attention qui est la base de toute
charité. Différents seront les aspects
qu'elle pourra revêtir : selon les cas, l'attention sera intellectuelle,
psychologique ou sensible. Cependant,
ces différentes formes de l'attention présentent un caractère commun : une sortie
de soi-même pour se concentrer dans autrui.
Ce don de soi exige certaines conditions. Pour donner sa vie, il ne faut pas être
prisonnier de soi-même, mais désapproprié, vidé, dégagé de tout lien d'égoïsme,
jusqu'à renoncer à la réussite personnelle de sa vie. Se concentrer en autrui, tel est le but de
cette libération. Cette concentration,
analogue à celle que réclame un travail intellectuel, est toutefois différente
en ce qu’elle doit être désintéressée.
Le don de soi ne doit pas s'accompagner d'un retour sur soi-même.
L'attention au prochain est pour
lui, et pour lui seul. Il nous faut le
considérer d'une manière objective sans chercher à projeter sur lui un reflet
de notre personnalité. Aimer le prochain
sera avant tout prendre conscience de son existence profonde, réelle,
individuelle. Cela implique que nous le
regardions au lieu de nous contenter de le voir. Dans la parabole du bon Samaritain, le prêtre
et le lévite voient le pauvre malheureux gisant à terre : ils le voient et
passent outre. Alors que le Samaritain
le voit aussi, mais s'arrête et cherche ce dont cet homme a besoin.
Regarder autrui, c'est donc
s'efforcer de découvrir ses besoins, ses désirs, ses tendances, ses
difficultés, ses aspirations, ses souffrances. Après les avoir découverts, il
faudra lui donner ce dont il manque, et non pas seulement ce qu'il nous
plairait de lui donner.
Tout cela requiert une ouverture
d’âme qui n’est pas une tendance innée.
Aussi faudra-t-il se livrer à une éducation de l'attention. Pourquoi ne pas penser d’avance à nos
rencontres avec les autres ? Ne
pourraient-elles pas avoir une place dans notre examen de prévoyance ? Je verrai telle personne aujourd'hui, que puis-je
dire, que puis-je faire pour elle, que sont ses préoccupations ? Nous préparons bien une lettre, une démarche,
pourquoi ne pas préparer nos rencontres mêmes banales, car rien n'est banal au
regard de Dieu ? L’attention engendre
les attentions, c'est-à-dire les délicatesses qui ouvrent la vie de son cœur et
frayent le chemin de la grâce… Si nous
lisons attentivement l'évangile, nous verrons avec quelle délicatesse
Notre-Seigneur sait dire aux âmes qu'Il rencontre la parole qui lui livrera
leur cœur et prouve la divine « attention » qu’Il leur porte.
Ainsi, peu à peu, l'attention
devient un état habituel, cet « état d’âme amical » qui s’appelle aussi la bonté. Or, cette bonté qui consiste à s'oublier pour
penser aux autres, n'est possible que si nous sommes désencombrés de
nous-mêmes.
Ce devoir d'amour du prochain est
peut-être le plus difficile de tous. Il
demande de surmonter les tendances les plus profondes de notre être, et,
d'autre part, il ne laisse place à aucune illusion en nous obligeant sans cesse
à passer à l'acte. Il s'appuie
négativement sur le détachement et positivement sur l'amour.
Nos contacts fréquents avec le
prochain sont donc une occasion merveilleuse de vivre l'instant présent. Rencontrant Dieu sous des aspects divers,
nous pouvons nous unir à Lui sans cesse, faisant en chaque instant ce que
Lui-même nous demande de faire.
R.P. Victor de la
Vierge
Résolution
De la manière dont nous percevons
le prochain dépend notre zèle apostolique.